Dans un monde ouvert à tous, où chacun est en concurrence directe avec son voisin habitant à l’autre bout du monde, il est devenu primordial d’être original. Ou bien c’est ce que l’on veut bien nous faire croire ?

Les mots créativité et originalité sont devenus en quelques années des termes présents dans la bouche de beaucoup de personnes. Si ces derniers étaient plus entendus, autrefois, dans les studios de création, de nos jours les commerciaux et les entreprises n’ont de cesse de nous vanter l’originalité des produits qu’ils nous vendent. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’un employeur demande aux candidats qu’il reçoit et embauche, de faire preuve de créativité, comme si cette dernière était devenue une ressource humaine primordiale, ou du moins un moyen de séparer le bon employé du mauvais, alors qu’autrefois on basait tout sur les compétences. Et pour cause le marketing ne cesse de la mettre en avant, de la porter comme un étendard. Un produit qui sort aujourd’hui à de nombreuses chances de se voir attribuer le titre d’original ou de produit créatif, au-delà même parfois des qualités techniques ou autres, qu’il offre. D’ailleurs, certaines pubs pour des automobiles ou pour des aspirateurs vont vanter les mérites de leurs produits directement par le designer, en mettant en avant son côté unique et original.

Apple et Newton

En 2010 lorsque Steve Jobs, créateur d’Apple présente son nouveau produit l’Ipad, celui-ci n’a de cesse de mettre en avant l’originalité du produit. Pourtant dès 1993, la firme avait déjà proposé une tablette, la Newton MessagePad 100, qui n’avait clairement pas connu le même succès. Et si l’on remonte plus loin, en 1983 Hewlett-Packard proposait déjà le premier ordinateur à écran tactile, le HP-150. Et en 1986 ce fut Casio qui proposa le premier assistant numérique à écran tactile, avec le IF-8000. Certes la technologie, la finition et même le prix n’étaient pas le même, pourtant l’idée était déjà là. Je pense que vous voyez où je veux en venir. De même qu’Einstein n’est pas parti de zéro pour son manuscrit sur la relativité générale en 1915, mais du travail de ses confrères et notamment des travaux de Newton sur la gravité. Ce que je veux dire par là, c’est que rien ne se créer réellement. Et être original dans ce cas de figure est déjà bien plus compliqué.

Lavoisier à la rescousse

Notre bon ami Lavoisier nous disait déjà en son temps « Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. ». Il avait déjà tout compris le bonhomme. Car oui c’est un fait rien ne se créer, tout se transforme. Nous ne sommes que la somme de nos expériences et connaissances, mais surtout la quintessence de nos influences. Et celles-ci peuvent être nombreuses, et vraiment variées. Si je prends l’exemple d’un cinéaste qui réalise son film, il peut très bien avoir envie d’adapter un classique de la littérature, première influence directe, mais de choisir une musique moderne ou même un mélange de reprises pour sa bande-son, et de prendre comme cadre un pays chaud, pour jouer avec les lumières vives pour mettre en scène tout ceci. Cela donnera alors une œuvre unique, et dans le cas présent le film de Baz Luhrmann : Roméo + Juliette. Pourtant au départ qui aurait cru que mélanger du Shakespeare avec de la musique moderne, le tout dans un pays de l’Amérique du Sud pourrait donner autre chose qu’un doux délire de réalisateur ? Une vision unique pour une œuvre unique.

Instigateur et successeur

Il faut donc se rendre à l’évidence il n’existe pas de réelle originalité, mais plutôt une manière originale de prendre, de mixer et d’adapter ses influences. Et que cela ne vous déprime pas, bien au contraire. Savoir faire la somme de nos influences peut être une très bonne chose pour créer, mais aussi pour se rassurer sur la direction vers laquelle on se dirige, et l’hypothétique résultat qui pourra découler de ce voyage. Une méthode employée par les futurologues pour deviner de quoi sera fait demain. Dès lors, on comprend aisément que demander à de futurs employés d’être créatif ou original, n’a guère de sens en soi, on ferait mieux de leur demander quelles sont leurs influences, ce qu’ils aiment et ce que cela leur a apporté.

Je ne dis pas pour autant que dans certains métiers la créativité ne soit pas primordiale, loin de là, je dis simplement qu’être créatif ne doit pas rimer avec créateur d’une chose unique. Car cela est impossible. Cette création sera toujours la descendante directe ou spirituelle d’autre chose. De quelque chose qui aura été inventé bien avant. Être original veut donc plutôt dire, savoir adapter ses passions, ces ascendants, pour offrir sa vision très personnelle de quelque chose. C’est ça la véritable originalité, qui rendra votre travail unique, car émanant de vous et votre personnalité. Et non cette légende qui fait croire à tout à chacun que l’originalité c’est réussir l’impossible, en créant à partir de rien, et surtout en ne mettant aucune part de sa personnalité et de ses acquis. Quelque part en demandant cela c’est aller à l’encontre même de ce que l’on nous demande et surtout de la signification de ce mot : originalité.

Est-ce un mal de ne pas être original ?

Nous sommes tous originaux, c’est un fait, car nous avons tous vécu des choses différentes, qui nous ont affecté de manières diverses. Et pour une même épreuve ou fait, chaque personne percevra l’expérience différemment. Il suffit simplement d’imaginer un match de foot, avec un public de plusieurs milliers de personnes. Chacun ne vient pas le voir avec le même enthousiasme ou les mêmes attentes. Que ce soit le fan d’une équipe, la petite amie qui accompagne son fiancé, le recruteur ou encore le journaliste. Et je n’ai brossé là qu’une infime partie du public possible. Que dire alors des sentiments perçus à la fin du match selon que vous soyez pour une équipe ou une autre, ou simplement de votre destination après celui-ci. Vous aurez tous vécu la chose d’une manière différente, pourtant vous avez tous vu le même match.

Être original c’est donc absorber, modeler et transmettre nos sentiments et notre sensibilité. Il est donc quasiment impossible de ne pas être original. Ça sera la manière de faire les choses, de les proposer, et notre savoir-faire dans un domaine qui feront la différence. Soit la qualité de notre travail, ou la force de notre passion.

L’originalité une valeur vainement recherchée

Pour répondre à la question de base, il faudra donc plus chercher à être performant et talentueux dans son domaine plutôt qu’à être original à tout prix, sous risque de se perdre, pour au final se rendre compte que la tâche était impossible. Pourtant pour exister les produits actuels ont besoin de sortir du lot pour fonctionner et connaître le succès. Même si le succès d’un produit n’est pas toujours dû à l’originalité de celui-ci, mais plutôt à sa manière de le présenter, de répondre à un besoin ou bien de choquer.

Ce fut le cas par exemple pour le pain en tranches, invention qui fut délaissée pendant des années avant qu’un industriel ne perçoive le potentiel du produit et propulse le produit grâce à une campagne publicitaire impactant. De même que le film La passion du Christ, de Mel Gibson qui fut un carton au box-office, car les spectateurs savaient d’avance qu’ils allaient voir un film choc. Pourtant, le postulat de base n’est que l’énième reprise de l’histoire de Jésus, histoire mondialement connue. L’originalité n’a ici rien à voir avec le succès. Ce n’est pas la base de celui-ci.

Le monomythe

Joseph Campbell, professeur en mythologie sorti en 1949, un ouvrage portant le nom de Le héros aux cent visages, où il écrit que tous les récits héroïques suivraient la même structure narrative. C’est-à-dire, un héros qui reçoit un appel à l’aventure, qui doit alors quitté son habitat pour affronter un premier obstacle (souvent aidé d’un mentor) qui lui permettra d’atteindre une certaine conscience, pour ensuite dépasser son mentor et finalement affronter la menace finale, et enfin revenir (ou non) chez lui, transformé. C’est parfaitement utilisé par J.R.R Tolkien dans le Seigneur des anneaux, avec Sam et surtout Frodon qui souffre d’ailleurs de ce retour à une vie normale. Georges Lucas s’est également approprié ce monomythe pour créer Star Wars avec le succès qu’on lui connait. Et pourquoi un tel succès ? Tout simplement, car le message transmis parlait au plus grand nombre. Pourtant il na fait qu’utiliser des mythes et légendes déjà existantes comme les chevaliers de la Table ronde.

Il est également courant de dire qu’il n’existe pas une multitude de récits, mais juste une multitude de manières de les raconter. Tout ceci pour vous dire que la réelle originalité n’existe pas, mais que l’absence de celle-ci n’empêche pas les auteurs et les autres et les autres corps de métiers d’avoir du succès.

Pour conclure

La question n’est donc plus de savoir s’il faut être de plus en plus original de nos jours, mais plutôt de savoir comment faire valoir sa différence et ce qui nous compose. De laisser le côté l’illumination qui peut se dégager de l’originalité, de prendre conscience que tout à chacun n’est que la somme de son vécu, des es expériences et goûts, et de mettre en avant cette capacité ce synthèse, plutôt qu’un génie qui n’existe que très peu voir pas du tout. Car au fond être original c’est surtout être soi, d’ailleurs une œuvre originale n’est autre que l’œuvre de base, celle qui est unique, comme nous tous.